Un chien bouvier bernois mâle de 11 mois est référé pour exploration d’une boiterie de l’antérieur droit évoluant depuis 2 mois et ne rétrocédant que partiellement aux traitements antalgiques usuels. Aucun traumatisme n’est rapporté.
La boiterie est importante à froid, elle est diminuée mais constante à chaud.
L’examen clinique et l’examen neurologique ne montrent aucune anomalie.
Examen orthopédique
Photo 1 - Noter la position en rotation externe du membre.
Photo 2 - Sensibilité à la pression sur le ligament collatéral médiaL.
Photo 3 - Pronation forcée.
Examen à distance
Le membre est porté à l’arrêt en rotation externe et en abduction (Photo 1).
Le chien soulage constamment l’appui.
Examen rapproché
Une asymétrie des masses musculaires entre les deux membres caractérise une amyotrophie à droite en rapport avec la diminution chronique de mise en charge de ce côté. Un gonflement synovial est palpable dans le compartiment médial du coude.
Palpation pression
La pression exercée sur le ligament collatéral médial du coude produit une réaction de défense (Photo 2).
Positions en contrainte
L’extension du coude est douloureuse : la douleur limite
l’extension de 5 à 10° en comparaison avec l’autre membre.
La pronation forcée (Photo 3) est particulièrement mal tolérée. Cette position permet la mise en tension isolée du ligament collatéral médial du coude. Elle est réalisée en maintenant une flexion à 90° du coude et du carpe puis en tournant la main vers l’extérieur. La limite d’amplitude sur un animal normal est d’environ 45°. Il n’est pas noté d’augmentation d’amplitude dans le cas présenté.
Aucune autre anomalie orthopédique n’est constatée.
Bilan orthopédique
L’extension douloureuse du coude nous oriente vers une origine articulaire, mais elle n’est spécifique d’aucun type de lésion.
Le port du membre en abduction est lui plus caractéristique d’une atteinte du compartiment médial : il permet lors de la mise en charge de « faire bailler » l’articulation huméro-ulnaire en reportant les forces de pression sur le compartiment latéral.
La pronation douloureuse (ligament collatéral médial) et le gonflement articulaire médial confirment cette hypothèse.
Diagnostic différentiel
Le compartiment médial est composé de l’articulation entre le condyle huméral médial et le processus coronoïde médial ulnaire, stabilisée par le ligament collatéral médial, la capsule articulaire ainsi que les muscles fléchisseurs insérés sur l’épicondyle huméral médial.
Le diagnostic différentiel intègre donc les lésions possibles de ces structures :
- osseuses : fractures parcellaires articulaires, fissures
- cartilagineuses : ostéochondrose, ostéochondrites
- ligamentaires : entorse de degré 1, 2 ou 3 avec ou sans avulsion
- synovite, arthrite
- tendinites.
Néanmoins, le jeune âge du chien, l’absence de traumatisme rapporté, l’absence d’instabilité articulaire et l’évolution chronique tendant à une aggravation sont
en faveur d’une anomalie articulaire congénitale. La fréquence des dysplasies du coude chez le bouvier bernois et en particulier de la fragmentation du processus
coronoïde nous conduit à explorer en priorité cette hypothèse.
Examens complémentaires
Photo 4 - Radiographies du coude de profil. Noter la présence de signes d’une dégénérescence arthrosique.
Photo 5 - Radiographies du coude de face et oblique. Identifications d’un fragment médial et de lésions du condyle huméral.
Photo 6 - Confirmation tomodensitométrique de la fragmentation du PCM.
Photo 7 - Réalisation pratique d’une arthroscopie du coude.
Radiographie
Des radiographies sont réalisées sous anesthésie générale afin d’obtenir des images dont le positionnement est rigoureux. 4 vues standards sont réalisées : incidences de profil en extension et en flexion (photo 4), incidences de face et de face en rotation interne de 30° (Photo 5).
Sur les images de profil, une dégénérescence arthrosique sévère est constatée : sclérose osseuse sur l’aire de projection du processus coronoïde médial (flèche longue) et ostéophytose à la base du processus anconé (flèche courte). Sur les images de face, un fragment osseux semble libre dans le compartiment articulaire médial (flèche longue), le condyle huméral est irrégulier (flèche courte).
Ces images sont en faveur d’une fragmentation du processus coronoïde médial associée à des lésions de projection (kissing lésion) en regard sur le condyle huméral médial.
Scanner
Un examen tomodensitométrique est ensuite pratiqué afin de mieux estimer le défaut de congruence articulaire et les lésions ostéo-cartilagineuses (Photo 6).
Il confirme une fragmentation complète du processus coronoïde (flèche), l’interligne radio- ulnaire est irrégulier.
Diagnostic
Il s’agît d’une dysplasie du coude associant une incongruence articulaire, des lésions d’ostéochondrose humérale et une fracture du processus coronoïde médial ulnaire.
Traitement
Photo 8 - Visualisation arthroscopique du fragment osseux.
Photo 9 - Extraction du fragment osseux.
Photo 10 - Ablation du cartilage malade au shaver
Photo 11 - Syndrome du compartiment médial : noter l’abrasion profondes de toutes les surfaces articulaires.
Un geste chirurgical est proposé afin de traiter les lésions cartilagineuses et de réaliser l’extraction du fragment libre dans l’articulation. L’incongruence
modérée, la correction de la morphologie de l’articulation n’est donc pas envisagée.
Afin de limiter les lésions induites par la voie d’abord chirurgicale qui majore de manière significative la synovite et qui génère des lésions de contiguïté du ligament collatéral médial, un abord arthroscopique est préféré.
Après induction anesthésique classique, un bloc régional est réalisé (injection traçante de Lidocaïne sousscapulaire afin d’anesthésier les nerfs issus du plexus brachial).
Le coude est préparé de manière aseptique puis drapé, une optique de 2,7 mm associée à une chemise incluant un canal d’irrigation sont introduites dans l’articulation 1 cm caudalement au ligament collatéral médial (Photo 7). Le grossissement ainsi que l’illumination apportée par l’optique permettent la réalisation d’un bilan lésionnel très précis.
Le fragment osseux est facilement visualisé, il est manipulé à l’aide d’un palpateur (Photo 8) afin de confirmer qu’il est libre de toute adhérence, puis une pince à préhension est introduite par une porte antérieure afin de le saisir et de l’extraire (Photo 9).
Le palpateur est ensuite utilisé pour tester la viabilité du cartilage entourant la lésion et couvrant le condyle huméral médial. Les zones anormales sont repérées par une absence d’élasticité, la pression à l’aide du palpateur laissant une marque définitive.
L’intégralité des lésions identifiées est réséquées à l’aide d’un shaver : l’utilisation d’une turbine associée à une aspiration continue permet l’ablation du cartilage jusqu’à mise à jour de la plaque osseuse sous-chondrale (Photo 10).
Cela permet à terme la couverture osseuse par un fibrocartilage cicatriciel dont les propriétés mécaniques seront supérieures au cartilage nécrotique retiré.
Les abords arthroscopiques sont refermés par un point (2 ouvertures de 3 mm), le rinçage per-opératoire représente un volume de 3 litres ce qui assure un lavage des médiateurs de l’inflammation présents dans l’articulation.
La reprise d’appui est immédiate, un traitement associant des anti-inflammatoires (Rimadyl® 4 mg/kg) et des chondro-protecteurs (Fortiflex®) sont mis en place pour 1 et 6 mois. Le suivi montre une amélioration clinique rapide, une discrète gêne persiste ainsi qu’une rotation externe de la main à l’appui. Le pronostic à long terme reste réservé en raison des lésions arthrosiques avancées et surtout en raison de l’atteinte humérale (les ostéochondroses du condyle huméral médial sont des lésions toujours péjoratives de la récupération fonctionnelle).